Réalisé par André Téchiné.
Avec Catherine Deneuve, Wadeck Stanczak, Danièle Darrieux, Nicolas Giraudi, Jacques Nolo, Victor Lanoux... (sortie le 16 avril 1986). Téchiné vient nous retourné à nouveau les sangs avec ce "Lieu du crime" . Un polar sentimental, un cambriolage du cœur. L'histoire se passe à la campagne pendant l'été, ce qui tranche avec son univers habituel. Un jeune garçon de 13 ans, en short, court au milieu des herbes hautes. Il est traqué, inquiet. Un petit voyou lui fait du chantage, et il flippe dans sa solitude d'enfant qui ne peut rien dire aux adultes. Mine de rien, il risque très gros. Mais le hasard place le même jeune voyou sur le chemin de la mère, une femme respectable et solitaire qui tient un dancing et vit séparée du père. Ce jeune homme au teint pâle et aux joues creusées, dont on devine qu'il n'est pas totalement en paix avec sa conscience, est le coup de canif possible à un destin résigné d'avance. Un dérapage inévitable. Comme on peut le voir, le goût de Téchiné pour le romanesque va en s'intensifiant. Plus encore que ses autres scénarios celui-ci (écrit avec Olivier Assayas, comme "Rendez-vous" (fiche du film), et Pascal Bonitzer) multiplie les hasards et force les événements pour mieux les dramatiser. Le calme masque toujours des tempêtes cachées ou à venir. Ses films sont faits de gens normaux et d'événements ordinaires, mais toujours avec quelque chose d'indiscernable qui couve et qui, soudain, éclate. Chacun des personnages du "Lieu du crime" vit un tourment caché. Le mauvais garçon, dont on ne sait ni d'où il vient, ni où il va. Le mari, qui observe d'un peu loin le résultat de ses échecs passés, et dont chaque maladresse est un aveu. La grand-mère si soucieuse de l'ordonnance de sa toilette et des convenances. L'enfant qui n'a d'yeux que pour sa mère et dont les révoltes secrètes explosent en plein repas de communion. L'héroïne, enfin et surtout, cette femme blonde et belle qui a l'air de dissimuler ses inquiétudes derrière une apparente sérénité. Chacun d'eux pourrait faire l'objet d'un film uniquement centré sur lui. Tout l'art de Téchiné consiste à les jeter dans la même histoire sans en sacrifier, sans en diminuer aucun. Cela a parfois l'air de digressions, mais cela donne lieu aussi à quelques scènes inoubliables, comme le déjeuner de communion qui nous fait penser à du Tchékhov, ou comme ces terribles échanges mère/fille entre Darrieux et Deneuve qui, dans leur douleur crue, sont de vrais morceaux d'anthologie. Darrieux, que Téchiné avait envie de faire travailler depuis longtemps, est, à la fois, fragile et impressionnante. Lanoux, le père largué, a rarement été aussi touchant. L'enfant, Nicolas Giraudi, est au plus juste. Et Nolo ("La matiouette") est désormais totalement intégré à l'univers téchinéen. Car Téchiné fonctionne aussi sur la fidélité. Il n'est pas que fidèle à ses tourments, il l'est aussi à ses interprètes. Fidèle à Stanczak, qui a raflé son César grâce à "Rendez-vous", qui fait le jeune amant perdu, aussi convaincant quand il joue les vulnérables que quand il joue les durs. Fidèle à Deneuve surtout, qui est aux antipodes de son image élégante. Elle crie, elle hurle, elle pleure les cheveux trempés de pluie. Elle ose tout, sans que ses excès lui fassent perdre sa grâce. Ça peul sembler paradoxal, mais elle n'est jamais mieux (et c'était déjà le cas dans "Hôtel de Amériques" (fiche du film) ) que lorsqu'elle se déchaîne en femme blessée, foutue. Mise en confiance par son metteur en scène préféré, elle va jusqu'au bout des sentiments que peut éprouver son héroïne. Sans Téchiné, Deneuve ne serait pas tout à fait Deneuve, actrice sublime qui mériterait bien un prix d'interprétation si le film se retrouve à Cannes. Et sans Deneuve, ce film de Téchiné n'aurait pas ces frémissements magnifiques. Martine Moriconi de PREMIERE |
![]() ![]() ![]() ![]() |